Claude Zilberberg (1938-2018)
Ouvrages
1972 Une lecture des Fleurs du mal, Paris, Mame.
1981 Essai sur les modalités tensives, Paris-Amsterdam, Benjamins.
1985 L’essor du poème. Information rythmique, Saint-Maur (France), Phoriques.
1988 Raison et poétique du sens, Paris, PUF.
1999 Semiotica tensiva y formas de vida, Puebla, Université Autonome de Puebla.
2000 Ensayos sobre semiotica tensiva, Lima, Universidad de Lima.
2006 Éléments de sémiotique tensive, Limoges, PULIM.
2010 Cheminements du poème : Baudelaire, Rimbaud, Valéry, Jouve, Limoges, Lambert-Lucas.
2011 Des formes de vie aux valeurs, Paris, PUF.
2012 La structure tensive, Liège, Presses Universitaires de Liège.
avec Jacques Fontanille
1998 Tension et signification, Liège, Mardaga.
La complexité, la finesse interprétative, la rigueur ont toujours caractérisé le travail de Claude Zilberberg. Ses écrits ont laissé une trace inoubliable dans l’histoire récente de la sémiotique. Il a suivi la piste ouverte par la sémiotique structurale de Greimas avec une originalité et une cohérence qui ont donné lieu progressivement à un paradigme de recherche autonome, même si toujours accompagné par une vocation dialogique. La richesse de ses bibliographies, de ses notes, de ses lectures minutieuses d’auteurs de référence (entre autres, Baudelaire, Cassirer, Greimas, Hjelmslev, Valéry) révèle un esprit qui a su articuler épistémologie et poétique, logique et figuralité, comme si sa visée inavouée était de reproduire en sémiotique l’exemple fourni par Gaston Bachelard, auteur cité fréquemment et pour une bonne raison.
Dans les paysages théoriques de Claude Zilberberg, on peut reconnaitre une forme de vie, et après sa disparition cette dernière est ce qui nous est consigné sous forme d’aventure intellectuelle ; une aventure qui court encore aujourd’hui au-delà de nos fronts disciplinaires pour rejoindre l’orient de ses travaux qui reste en nous encore inexprimé.
Des témoignages concernant la figure intellectuelle de Zilberberg seront recueillis sur le site de l’AFS. On commence avec celui de Jacques Fontanille.
Pierluigi Basso Fossali
Président de l’AFS
Claude Zilberberg et les tensions du sens
Jacques Fontanille
Centre de Recherches Sémiotiques (CeReS)
Université de Limoges
En signe d’amitié fidèle et de reconnaissance à Claude Zilberberg
Claude Zilberberg laisse une œuvre considérable, qui se caractérise à la fois par sa vigoureuse originalité, et par une cohérence indéfectible et de long terme. Cette œuvre apparaissait de son vivant comme un projet intellectuel hors normes, et aussi comme une mine inépuisable de suggestions, de propositions, et d’alternatives pour la sémiotique d’inspiration structurale. Aujourd’hui, après sa disparition, elle apparaît à l’évidence comme un projet de vie, tenu jusqu’au dernier souffle.
Peu après la soutenance et la publication de sa thèse sur Baudelaire, Claude Zilberberg publiait déjà en 1981 dans son livre Essai sur les modalités tensives, un chapitre intitulé « Sous les sèmes, y a quoi ? ». Aujourd’hui, connaissant les développements ultérieurs de cette question, on pourrait la reformuler ainsi : « sous la différence entre deux termes, y a quoi ? ». La réponse de la théorie tensive de Claude Zilberberg est simple : sous la différence entre des termes, il y a des discontinuités soumises à des variations graduelles, qui participent à la signification non pas des termes eux-mêmes, mais, justement, de leur différence.
Il n’y a donc pas de contradiction épistémologique ou d’exclusion méthodologique entre une approche différentielle de type « terme à terme » (ou discontinue) et une approche de type « degré à degré » (ou continue), mais seulement une différence de niveau ou de point de vue d’analyse. Mais, de ce seul déplacement du regard, Claude Zilberberg a systématiquement tiré toutes les conséquences, que l’on peut évoquer de manière synthétique comme quatre transformations qui complètent et réactualisent l’analyse structurale différentielle classique.
La première transformation est, paradoxalement, un retour au point de départ, tel que Greimas l’avait fixé dans Sémantique structurale : comment et à quelles conditions percevons-nous les discontinuités qui se donnent à saisir dans les univers de sens ? L’analyse tensive ne se contente pas en effet de constater des différences : elle s’efforce de rendre compte de la manière dont on perçoit qu’il y a des différences à saisir.
La seconde transformation, qui découle de la première, tient au fait que, si une différence soumise à l’analyse tensive est une différence perçue dans le champ de présence sensible d’un observateur, alors le chemin est ouvert pour que la sémiotique différentielle ne soit pas seulement « objectale », ni même « subjectale », mais qu’elle renoue, au moins dans un premier temps, avec l’expérience et les phénomènes sensibles.
La troisième transformation, conséquence des deux premières, est la place prééminente accordée à l’affect. La saisie des discontinuités devient, lors de l’analyse tensive, un processus déclenché par un affect. Du point de vue de la sémiotique tensive, une différence nous affecte avant de se donner à connaître.
La quatrième transformation repose sur le point de vue de la complexité : dans la perspective d’une différence pouvant émerger de plusieurs strates perceptives et sensibles, l’interprète et l’analyste ont d’emblée à faire à un enchevêtrement de tensions perceptives en tous genres, au brouhaha confus d’un univers figuratif qui pullule de différences possibles et à saisir. Le fait même de parvenir, comme le propose Claude Zilberberg, à identifier les unes comme relevant de l’intensité, et les autres comme participant de l’extensité, est déjà une élaboration secondaire qui réduit la complexité de ce qui est perçu d’emblée dans un univers de sens. Réduire ainsi la complexité initiale à deux directions principales de la variation, c’est déjà commencer à saisir la dynamique de la différenciation.
On dit souvent, sans trop réfléchir à ce que cela implique, que « le style, c’est l’homme ». Pourtant, l’œuvre de Claude Zilberberg, par sa cohérence, sa systématicité, sa progression et son amplification résolue et maîtrisée, nous dit bien quelque chose de l’homme : il a choisi la cohérence de l’œuvre au lieu des opportunités de carrière, il a choisi la systématicité au lieu d’écouter le chant des sirènes des thèmes à la mode et des tendances théoriques, il a fait de sa vie intérieure une œuvre de résistance, et donc de persistance. Son œuvre persiste, et sa signature est pour toujours une marque d’indéfectible intégrité intellectuelle.