Revue Actes Sémiotiques, n°125 (2021)

Revue Actes Sémiotiques, n°125 (2021)
Dossier : Sémiotique de la violence

Sous la direction de Juan ALONSO ALDAMA, Denis BERTRAND et Tarcisio LANCIONI

Extrait de l’introduction du dossier thématique

La violence est au foyer de la scène culturelle du sens. Dans les Métamorphoses, Ovide en raconte l’origine. Lorsque les Géants, cherchant à s’emparer du royaume céleste, eurent entassé des montagnes pour y accéder, le père des cieux les fracassa de sa foudre, elles écrasèrent les Géants et leur sang imbiba Gaïa, la Terre. Celle-ci

donna vie à des flots de sang encore chauds et, de peur que disparaisse toute trace de sa race, en forma des êtres à face humaine. Mais cette génération aussi méprisa les dieux et, particulièrement avide de carnage et de cruauté, elle se livra à la violence ; on reconnaissait qu’elle avait été créée avec du sang.
Ovide, Métamorphoses, Livre 1, 156-162, trad. fr. A. M. Boxus et J. Poucet, Bruxelles, 2005 [En ligne].

De ce sang, les arts se sont nourris ; ils ont élaboré d’innombrables représentations de la violence et des chercheurs comme Pierre Clastres ou René Girard l’ont identifiée comme l’un des moteurs fondamentaux de l’histoire culturelle. Force archaïque en ce qu’elle est à la fois originaire et toujours présente, la violence est chaque jour objet des discours médiatiques. Les sciences sociales bien entendu s’en occupent, mais toujours comme s’il s’agissait d’un phénomène en soi évident, que chacun est capable de reconnaître comme une « donnée de fait », sans que l’on interroge plus avant sa définition. Avec toutes les évidences intuitives que le mot suscite, son spectre sémantique est très large : il mêle les traits modaux du « pouvoir » et de la « force » (en allemand réunis, sous l’expression Gewalt) avec les figures actantielles du contrôle, de la domination et de la soumission, ainsi que la manifestation de phénomènes passionnels extrêmes – de la haine à l’épouvante – avec l’irruption soudaine et impérieuse de la Mort.

La sémiotique, pour sa part, a souvent analysé des situations et des scènes violentes, ou qui impliquent la violence, en traitant le sens de phénomènes aussi bien collectifs tels que le terrorisme, la guerre, les luttes sociales, que privés comme « la scène de ménage ». Elle a considéré la présence implicite de la violence dans les stratégies narratives qui caractérisent la dimension polémique de la circulation des valeurs : c’est ce que révèlent plusieurs entrées du dictionnaire de Greimas et Courtés, Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, « agresseur », « appropriation », « punition »…, de même que la manifestation de cette violence appelée par certaines passions telles que la jalousie, la colère, la vengeance. Elle n’a cependant jamais, à notre connaissance, centré sur la violence en tant que telle ses réflexions, ses analyses, ses modélisations.

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