Voici un hommage à Kestutis Nastopka par Ivan Darrault-Harris & Didier Tsala Effa de l’Université de Limoges.
Hommage à Kestutis Nastopka
Cher Kestutis, cher ami,
Tous les deux, Ivan et Didier, nous attendions qu’on nous fasse parvenir ta bibliographie pour te rédiger notre hommage. Nous l’attendions pour faire un point exhaustif sur ta contribution à la sémiotique. Nous l’avons reçue, et nous avons été incapables de la commenter dans le détail, car impressionnés par la quantité de ta production : près de 700 contributions.
Tu as produit tes premiers textes très jeune, pris tout naturellement dans le mouvement structuraliste des années 1960. Ensuite, tu as cheminé avec Greimas, comme co-acteur et témoin de ce qui allait devenir notre sémiotique, la romane. Et à la mort de Greimas, en 1992, tu as poursuivi tout seul, toujours avec ton souci du compagnonnage.
Nombre de tes textes sont en russe, une très grande partie en lituanien et, malheureusement pour nous, peu en français. Ce sont donc surtout tes étudiants à Vilnius qui en ont tiré profit. Non pas que tu aies fait école, tu as été compagnon de Greimas, ils disent tous que c’est principalement toi qui les as menés à la sémiotique et c’est pour cela qu’ils y sont restés.
En réalité, c’est toi qui as implanté et fait fructifier la sémiotique greimassienne en Lituanie. Avec d’autres, tu as créé puis dirigé le centre Greimas de Vilnius. Un Sanctuaire ! où tu as su accueillir avec une belle générosité les chercheurs en quête d’archives soigneusement classées. On y accède par un escalier raide, en colimaçon, après plusieurs détours dans les arcanes de la faculté de philologie et de philosophie de Vilnius. Ensuite quand on y parvient, on est ébahi par la modestie impressionnante du lieu. Tout Greimas y est, exposé sans faste, sous une lumière austère, comme dans un monastère. Il faut donc beaucoup de détachement pour y accéder véritablement. Telle nous semblait ta conception de la sémiotique. C’est sûrement la bonne, selon nous. Un héritage !
Mais c’est bien ta collaboration décisive, avec Saulius Zukas, dans le choix des publications greimassiennes en lituanien qui nous a permis l’édition de textes inconnus des français : le recueil intitulé Du sens en exil publié en 2017 et remis à tous les participants du grand congrès de l’AFS à l’Unesco.
Il faut ajouter à ton accueil scientifique l’accueil amical de grande qualité t’amenant à conduire les invités français jusqu’aux bords et aux dunes de la Baltique, y rencontrant ta propre famille associée à un accueil inédit.
Peu disert, on ne te découvrait que par petits fragments, lors de tes prises de paroles pendant tes conférences. Mais tu ne te faisais vraiment entendre que pour souligner la qualité des autres. Tu n’avais que des mots aimables pour pointer ici, l’originalité d’une recherche, là, la qualité d’un exposé ou encore l’intérêt d’un enseignement et tu ne faisais aucune économie pour féliciter et pour exprimer ton admiration des autres. Or, en retour, tu ne laissais que peu de place pour en recevoir.
Ainsi étais-tu. On sait aujourd’hui que c’est presque malgré toi que tu as accepté les plus fortes reconnaissances dues à ton rang. Le 10 décembre 2012, tu as été proposé au prix national lituanien pour la culture et la science, qu’ensuite Madame Dalia Grybauskaitė, Présidente de la république de Lituanie à cette époque, t’a remis de ses propres mains le 16 février 2013, jour de l’Indépendance du pays. Le 6 juillet 2015, tu as reçu l’Ordre du mérite de la Lituanie remis toujours par la même Présidente. Ce fut à la fin de ta carrière. Mais là encore, tu n’en as pas fait grand cas ; ce sont tes étudiants et tes collègues qui en ont tiré orgueil.
Cher Ami, tu es parti ce 23 juillet, avec ta discrétion, en toute modestie. En te disant au revoir, tous les deux, nous avons tenu à te faire part de notre admiration, de notre vive reconnaissance, en te priant de l’accepter, avec un peu plus de faste cette fois : c’est à peine ce qui te revient de droit.
Ivan Darrault-Harris & Didier Tsala Effa.
Tes amis à l’université de Limoges.