Appel à communication – Colloque GPS, AFS et Universités Paris Cité, Tartu, Middlesex – Échelle, mesure, démesure… incommensurabilité Questions sémiotiques

du 25 au 27 juin 2025
Paris, Université Paris Cité

colloque organisé par Juan Alonso Aldama, Denis Bertrand, Jean-François Bordron, Valérie Brunetière, Bernard Darras, Verónica Estay Stange, Paul Cobley, Kalevi Kull.

Présentation

Plus de trente ans après la publication de l’ouvrage collectif La quantité et ses modulations qualitatives(1992) dirigé par Jacques Fontanille, deux ans après l’ouvrage édité par Tiziana Migliore et Marion Colas-Blaise, Semiotica del formato. Misure, peso, volume, proporzioni, scala (2022), nous proposons de renouveler la réflexion sémiotique sur la question de l’échelle. Ce problème, qui est aussi celui des critères de référence, de la mesure et de la démesure jusqu’à l’incommensurable est une question centrale tant pour les sciences humaines et sociales du point de vue de leur conceptualisation, que pour la compréhension des phénomènes naturels et géo-politiques de notre temps.

Comparons les expériences de la montagne et de l’océan.

Montagne. Si l’ascension est soumise à la « mesure » du monde (est-ce que ce pont de glace supportera mon poids ? est-ce que cette roche est assez résistante pour y placer un relais ?…), le sommet apporte à l’alpiniste tout le contraire, à savoir la démesure, l’immensité, l’infini. En ce point, la nécessité de trouver une « raison » et un « sens » à cette vision se tourne presque toujours vers la transcendance, qu’elle soit théologique (l’essence divine) ou esthétique (le sublime), voire morale (avec ses clichés : « le premier de cordée »).

Océan. Au grand large, lorsque le monde perçu est réduit à deux éléments illimités, l’air et l’eau qui souvent se fondent par effet de miroir en une couleur unique, les marins de quart, face à cette démesure, se livrent souvent à une méditation cosmique et métaphysique : « Qui sommes-nous ? Où sommes-nous ? » etc. Les romans de mer, de Melville à Victor Hugo et Conrad, font de cette saisie impossible de l’incommensurable un thème central.

Ces exemples illustrent le fait plus général que la notion d’échelle est celle d’un rapport, d’une proportion (nécessairement graduelle), entre une valeur de base et une de ses parties. Ainsi, on mesure le temps en temps, l’espace en espace et la marchandise en marchandise (l’argent). Beaucoup de questions en découlent. Quelles sont les valeurs susceptibles d’avoir une échelle ? Bien sûr les valeurs sans mesure (cf. Zilberberg) semblent échapper aux échelles. On suppose en général que la valeur de base, par exemple l’espace, ne saurait varier sans paradoxe pour sa mesure. Mais la douleur, qui pourtant semble mesurée dans les hôpitaux (échelle de 1 à 10), a-t-elle une base stable, non subjective ? Et le plaisir dont on disait que sa mesure était sans mesure ? Il y a des échelles curieuses comme l’échelle des salaires qui en vérité ne mesure rien, puisqu’elle ne peut que constater un point médian. L’échelle des notes scolaires quant à elle, avec la « constante macabre » repérée par André Antibi (La constante macabre (…), Math’Adore, 2003), témoigne de présupposés classificatoires et discriminants.

Ainsi, cette vaste question de l’échelle nous paraît s’imposer aujourd’hui à la réflexion sémiotique.

  • En raison du questionnement théorique tout d’abord : l’échelle est une condition d’appréhension de toute signification. La sémiose – relation constituante entre un plan de l’expression et un plan du contenu – présuppose une perspective (prescrite par notre Umwelt même) et celle-ci forme le socle de toute mesure. Dans la sémiotique pragmatiste, la sémiose se présente comme une relation entre un signe, son objet et son interprétant ; or, ce dernier étant aussi un signe, le « passage » du premier signe à son interprétant, pose logiquement la question de la mesure et de la proportion, question qui se pose de manière très pertinente dans la diagrammatique peircienne. La question devient : en fonction de quelle mesure appréhende-t-on et analyse-t-on le sens ? Comment le sens s’ajuste-t-il à nos échelles perceptives ? En quoi les échelles nous assurent-elles une « bonne » distance ? Comment se désajuste-t-il ?
  • En raison de la transversalité disciplinaire et épistémologique. Qu’il s’agisse d’éthique de la mesure ou de quantification pour saisir le mesurable, de l’observable ou de l’hypothético-déductible, toutes les disciplines sont concernées, en fonction de leur épistémologie propre, par la question de l’échelle. Cette « dimension » pose le problème d’« adaptabilité » des modèles, par définition abstraits et généraux, et celui des modalités de leur ajustement aux « aspérités » et à la « granularité » des objets d’analyse.
  • En raison de l’expérience empirique. La connaissance du monde passe par l’extension du perceptible dans l’espace et dans le temps, du micro- au macro-, franchissant les frontières du représentable : la durée des déchets nucléaires bien au-delà de celle de toute civilisation, les changements géologiques suscités par l’anthropocène, la visibilité des espaces astronomiques où, derrière les nuages de poussières à des millions d’années-lumière, se révèlent des galaxies qui font apparaître à leur tour de nouveaux nuages de poussières (cf. le télescope spatial James Webb).
  • En raison de l’expérience politico-climatique contemporaine enfin, avec la perturbation de toutes les échelles qu’imposent les événements extrêmes, invalidant toutes les mesures (cf. les statistiques) connues jusqu’ici. L’actualité pressante du dérèglement climatique implique donc cette crise de la mesure. Les dimensions nouvelles, les confrontations obligées, et tant d’autres aspects encore récemment inaperçus, exigent de nouvelles façons de mesurer, ou de penser la mesure.

A partir de ces observations, plusieurs axes de recherche se dessinent, sous forme de questions :

  • La question du rapport entre perception, sémiose et échelle. On peut penser par exemple au rapport entre les opérations totalisantes de la contemplation et celles, singularisantes, du repérage (cf. Pierre Ouellet in Fontanille 1992, 185).
  • La question de la moralisation dans une socio-sémiotique des passions, de l’ordre de l’analytique empirique, qui se manifeste sous la forme des « limites » qui encadrent, dans ce domaine, le sentiment de justesse et celui du non ajustement par défaut ou par excès.
  • La question cognitive du schématisme et des modèles avec les procédures de réglage entre le local et le global. Quel rapport entre l’excitation du détail sur une représentation à très grande échelle ou celle du panoramique sur une représentation à petite échelle qui permet d’entrevoir les lignes générales d’un objet mais où se perd l’exactitude.
  • La question sensible de l’intensité : comment appréhender la quantité de la qualité ? La gradation de la quantité et ses effets de seuil, avec l’irruption de la discontinuité, ouvrent sur un nouveau paradigme et sur une nouvelle qualité. Une réponse à la question ici posée peut être apportée par les modèles sémiotiques de la tensivité.
  • La question pragmatique et méthodologique de la relation entre l’échelle de l’expérimentation (celle du laboratoire) et celle de l’expérience sensible du monde : la maquette, l’échantillonnage, le cas illustratif… conduisant au problème de la typicité et du prototype.
  • La question éthique de la proportion, de la proportionnalité et de la disproportion. « Toutes proportions gardées » dit la sagesse des nations, « proportionnalité » de la riposte, de la justice, de la guerre. Le point où la disproportion va jusqu’à la disparition de l’objet.
  • La question, enfin, du vertige quand le monde devient incommensurable.

Envoi des propositions

Les propositions d’intervention sont à déposer via le formulaire accessible par le lien  suivant :

Le formulaire demande de préciser le nom et le rattachement institutionnel de chaque auteur, avec le titre et le résumé de l’intervention proposée (1500 signes maximum) ainsi qu’une liste de 4 mots clefs.

Calendrier

– Date limite de soumission : 28 février 2025
Date de notification d’acceptation aux auteurs : 15 mars 2024
– 
Dates du colloque :

Mercredi après-midi, 25 juin 2025, Salle des thèses, Université Paris Cité, 45 rue des Saints Pères, 75006 Paris
Jeudi 26 juin 2025, idem,
Vendredi 27 juin 2025, idem.

COLLOQUIUM – GPS, AFS and Universities Paris Cité, Tartu, Middlesex

25-27 June 2025

Scale, measure, excess… incommensurability

Semiotic issues

Orientation text

More than thirty years after the publication of the collective work La quantité et ses modulations qualitatives(1992) edited by Jacques Fontanille, two years after the work edited by Tiziana Migliore and Marion Colas-Blaise, Semiotica del formato. Misure, peso, volume, proporzioni, scala (2022), we propose to renew semiotic reflection on the question of scale. This problem, which is also that of reference criteria, of measurement and excess to the immeasurable, is a central issue both for the humanities and social sciences from the point of view of their conceptualization, and for the understanding of the natural and geo-political phenomena of our time.

Let’s compare the experiences of the mountain and the ocean.

Mountains. If the ascent is subject to the ‘measure’ of the world (“Will this ice bridge support my weight? Is this rock strong enough to hold a belay?…”), the summit brings the mountaineer quite the opposite: excess, immensity, infinity. At this point, the need to find a ‘reason’ and a ‘meaning’ for this vision almost always turns to transcendence, whether theological (the divine essence) or aesthetic (the sublime) or even moral (with its clichés: ‘the leader of the rope’).

Ocean. In the open sea, when the perceived world is reduced to two unlimited elements, air and water, which often merge into a single colour through a mirror effect, the sailors on watch, faced with this excess, often engage in cosmic and metaphysical meditation: “Who are we? Where are we?”… Novels of the sea, from Herman Melville to Victor Hugo and Joseph Conrad, make this impossible grasp of the immeasurable a central theme.

These examples illustrate the more general fact that the notion of scale is that of a ratio, a proportion (necessarily gradual), between a basic value and one of its parts. So we measure time in time, space in space and commodity in commodity (money). This raises many questions. What values are likely to have a scale? Of course, values without measurement (cf. Zilberberg) seem to escape scales. It is generally assumed that the basic value, space for example, cannot vary without a paradox in its measurement. But does pain, which seems to be measured in hospitals (on a scale of 1 to 10), have a stable, non-subjective basis? And what about pleasure, which was said to have no measure? There are some curious scales, such as the salary scale, which in truth measures nothing, since it can only establish a mid-point. As for the school mark scale, with the ‘macabre constant’ identified by André Antibi (La constante macabre (…), Math’Adore, 2003), it reflects classificatory and discriminatory presuppositions.

So this vast question of scale seems to us to be imposing itself on semiotic reflection today.

– First of all, because of the theoretical question: scale is a condition for understanding all meaning. Semiosis – the constitutive relationship between a plane of expression and a plane of content – presupposes a perspective (prescribed by our Umwelt), and this forms the basis of all measurement. In pragmatist semiotics, semiosis is conceived as a relationship between a sign, its object and its interpretant; since the latter is also a sign, the ‘passage’ from the first sign to its interpretant logically raises the question of measurement and proportion, a question that is very relevant in Peircian diagrammatics. The question becomes: by what measure do we apprehend and analyse meaning? How does meaning adjust to our perceptual scales? How do the scales ensure that we are at the ‘right’ distance? How does it become maladjusted?

– Because of disciplinary and epistemological transversality. Whether we are talking about the ethics of measurement or quantification to grasp the measurable, the observable or the hypothetical-deductible, all disciplines are concerned, according to their own epistemology, by the question of scale. This ‘dimension’ states the problem of the ‘adaptability’ of models, which are by definition abstract and general, and of how to adjust them to the ‘roughness’ and ‘granularity’ of the objects of analysis.

– Because of empirical experience. Knowledge of the world is based on the extension of the perceptible in space and time, from the micro- to the macro-, crossing the boundaries of the representable: the duration of nuclear waste well beyond that of any civilization, the geological changes brought about by the Anthropocene, the visibility of astronomical spaces where, behind clouds of dust millions of light years away, galaxies are revealed which in turn reveal new clouds of dust (cf. the James Webb Space Telescope).

– And finally, because of the political and climatic experience of our time, with the disruption of all scales caused by extreme events, invalidating all known measurements (cf. statistics) known to date. The pressing issue of climate disruption therefore implies this crisis of measurement. The new dimensions, the obligatory confrontations, and so many other aspects that have gone unnoticed until recently, require new ways of measuring, or of thinking about measurement.

Based on these observations, several lines of research emerge, in the form of questions:

– The question of the relationship between perception, semiosis and scale. Consider, for example, the relationship between the totalizing operations of contemplation and the singularizing operations of identification (cf. Pierre Ouellet in Fontanille 1992, 185).

– The question of moralization in a socio-semiotics of passions, of the order of empirical analysis, which manifests itself in the form of the ‘limits’ that frame, in this domain, the feeling of rightness and that of non-adjustment by default or excess.

– The cognitive question of schematism and models with procedures for adjusting between the local and the global. What is the relationship between the excitement of detail in a very large-scale representation and the excitement of a panoramic view in a small-scale representation, which allows a glimpse of the general lines of an object but in which accuracy is lost?

– The sensitive question of Intensity: how do we apprehend the quantity of quality? The gradation of quantity and its threshold effects, with the irruption of discontinuity, opens up a new paradigm and a new quality. The semiotic models of tensivity may provide an answer to this question.

– The pragmatic and methodological question of the relationship between the scale of experimentation (that of the laboratory) and that of the sensitive experience of the world: the model, the sample, the illustrative case… leading to the problem of typicity and the prototype.

– The ethical question of proportion, proportionality and disproportion. The wisdom of nations says: ‘Keeping things in proportion’, the ‘proportionality’ of retaliation, of justice, of war. The point at which disproportion goes as far as the disappearance of the object.

– Finally, the question of vertigo when the world becomes immeasurable.

Submitting proposals

Proposals should be submitted using the form accessible via the following link:

https://docs.google.com/forms/d/e/1FAIpQLSf9YIuiL8fSvKytYTgoLAlKQrYRA23Xr-FzUh0EzFQmGOi9lg/viewform?vc=0&c=0&w=1&flr=0

The form asks you to specify the name and institutional affiliation of each author, together with the title and summary of the proposed talk (1500 characters maximum) and a list of 4 key words.

Schedule

– Deadline for submission: 28 February 2025
– Date of notification of acceptance to authors: 15 March 2025


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Dates of the colloquium:

Wednesday afternoon, 25 June 2025, Salle des thèses, Université Paris Cité, 45 rue des Saints Pères, 75006 Paris
Thursday 26 June 2025, idem.
Friday 27 June 2025, idem.