Appel à contributions Visible n°13

Numéro 13 de la revue Visible
« Tactilité du visuel et mondes numériques »

(https://www.unilim.fr/visible/711)

Sous la direction de de Ludovic CHÂTENET (Université Bordeaux Montaigne) et Audrey MOUTAT (Université de Limoges)

 

Présentation

Dans ce dossier, nous invitons la sémiotique visuelle à dresser un bilan des connaissances sur la tactilité de l’image et à montrer comment elle sollicite/signifie le toucher pour relever les défis posés par les images numériques et les mondes virtuels.

Depuis la fin des années 1980, les technologies numériques ont permis de construire des mondes virtuels (jeux-vidéo, métavers, réalité augmentée, réalité virtuelle) que l’on peut définir comme des environnements composés d’images (fixes ou en mouvement) dans lesquels les usagers peuvent avoir l’illusion d’évoluer et d’agir par le biais d’un avatar ou non (Boellstorff 2008). Dans ces espaces illusoires de simulation, les images ne visent pas seulement (ou nécessairement) la ressemblance avec le réel mais l’agir sur le corps et le réagir (inter-action) en construisant des espaces non plus à contempler mais à parcourir. De la même manière, les dispositifs de réalité augmentée ou virtuelle procèdent d’un enrichissement du plan de l’expression du monde naturel par superposition ou entrelacs avec la plasticité de leur interface. En somme, la mise en relation d’images configure des expériences sensibles, affectives et cognitives produisant une dimension dite “immersive” qui repose sur des effets de présence et de sens (Cairn, Cox & Nordin 2014, Geniusas 2022).

Comment le visuel sollicite-t-il le toucher et, par extension, affecte-t-il le corps pour créer des effets d’immersion ?

Cette question nous semble inviter la sémiotique à (ré)ouvrir une réflexion sur la tactilité du visuel, autrement dit sur la capacité des images à suggérer le toucher, voire même à dédoubler la modalisation sensible par la production d’effets affectant le corps de l’observateur-acteur.

La sémiotique s’est intéressée à la tactilité du visuel lorsqu’elle a cherché à décrire la production des effets de sens dans les images. Dans son étude de la photographie, Barthes (1979) a d’abord suggéré que le regard est soumis à la qualité sensible de l’objet ou du sujet photographié, c’est-à-dire à sa présence plastique (être là) opérant un lien entre l’optique et le tactile. En ce sens, l’image photographique, mais pas seulement, construit des corps susceptibles de prendre de l’épaisseur, et donc de suggérer le tact, par le biais de leurs propriétés plastiques rendues par celles de l’image (Beyaert-Geslin 2017). La tactilité de l’image semble alors s’appuyer principalement sur la texture, entre distance à la matière et granularité.

Intégrée à la sémiotique visuelle par Floch (1985) puis le Groupe µ (1992), la texture apparaît comme une propriété à la fois visuelle et tactile assumant le rôle d’opérateur synesthésique entre ces deux dimensions sensorielles. Elle a conduit la sémiotique à réévaluer l’ancrage phénoménologique du sens (Merleau-Ponty 1945, 1960) et à questionner la performativité des images (Gell 1998, Mitchell 2004, Alloa 2010, 2015, 2017) lorsque la sémiose repose sur l’actualisation de la mémoire sensorielle, de l’expérience et de l’imaginaire affectant le corps sensible.

Comme l’ont montré les réflexions récentes de Massimo Leone (2021, 2022), la composante sensorielle joue un rôle fondamental dans la sémiose des images numériques, contrefaites, qui cherchent à produire des effets de réalité par une modalisation de notre expérience selon un faire-croire et un faire-faire. D’une part, les images “réalistes” produites par les IA ont recours à des textures qui émulent la perception naturelle d’un corps ou d’un environnement. D’autre part, les environnements virtuels remettent en question la modalité même de production du sens par l’image dans la mesure où ces derniers ne sont plus seulement des plans, comme la peinture ou la photographie, mais des “sculptures imagées”. Ils nous poussent à élargir la réflexion vers une tactilité transversale aux différents objets visuels qui fait défaut dans la théorie sémiotique.

Dans ce contexte, le présent dossier a pour objectif d’actualiser les outils de la sémiotique pour décrire et expliquer les nouveaux modes de production du sens par les objets numériques et virtuels. Nous chercherons plus particulièrement à questionner les implications d’une “tactilité de l’image” dans l’efficace des mondes virtuels qui parviennent à mobiliser et affecter le corps du sujet-opérateur. Au-delà de la seule texture, il s’agira d’interroger la manière dont ces images produisent et signifient le tactile et/ou l’haptique (Parret 2018). Comment ces images construisent-elles des mondes à toucher ? Enfin, comment la dimension tactile de ces images ajoute-t-elle du sens et produit-elle l’effet d’ « immersion » souvent discuté dans les approches vidéoludiques ?

Bibliographie

ALLOA, Emmanuel (dir.) (2010 – 2017) Penser l’image vol. I, II et III, Dijon : Les Presses du Réel. BARTHES, Roland (1979) La chambre claire, Paris : Gallimard.

BEYAERT-GESLIN, Anne (2012) Sémiotique du design, Paris, Puf.

BEYAERT-GESLIN, Anne (2017) Sémiotique du portrait. De Dibutade au selfie. Louvain : De Boeck Supérieur.

BOELLSTORFF, Thom (2008) Coming of age in Second Life. An anthropologist explores the virtual human. Princeton: Princeton University Press.

CAIRN Paul, COX Anna & A. Imran NORDIN (2014) “Immersion in Digital Games: Review of Gaming Experience Research”, in ANGELIDES, Mario C. & Harry AGIUS (eds.) Handbook of Digital Games, Hoboken (New Jersey): Wiley & Sons Inc. – IEEE Press. pp. 339-361.

FLOCH, Jean-Marie (1985) Petites mythologies de l’œil et de l’esprit, Paris : Hadès.

GELL, Alfred (1998) Art and Agency. Oxford: Oxford University Press.

GENIUSAS, Saulius (2022). “What Is Immersion? Towards a Phenomenology of Virtual Reality”. in Journal of Phenomenological Psychology, 53(1), 1-24.

GROUPE µ (1992) Traité du signe visuel. Pour une rhétorique de l’image. Paris : Seuil.

LEONE, Massimo (ed.) (2021) Volti artificiali / Artificial Faces. Special issue of Lexia, 37-38.

LEONE, Massimo (ed.) (2022) Il metavolto. Turin : FACETS Digital Press.

MERLEAU-PONTY, Maurice (1945) La phénoménologie de la perception, Paris : Gallimard.

MERLEAU-PONTY, Maurice (1960) L’oeil et l’esprit, Paris : Gallimard.

MITCHELL, William J. T. (2004) What Do Pictures Want? Chicago: University of Chicago Press. PARRET, Herman (2018) La main et la matière. Jalons d’une haptologie de l’œuvre d’art, Paris, Hermann.

Direction scientifique et organisation

  • Ludovic Châtenet, MICA, Université Bordeaux Montaigne

  • Audrey Moutat, CeReS, Université de Limoges

Modalités de soumission des propositions

Les propositions d’article sous la forme d’un résumé détaillé comprenant le titre, l’argumentaire, la bibliographie sont à envoyer à Ludovic Châtenet <ludovic.chatenet@u-bordeaux-montaigne.fr> et Audrey Moutat <audrey.moutat@unilim.fr> au plus tard le vendredi 25 février 2024.

Calendrier prévisionnel de publication

  • 13 décembre 2023 : publication de l’appel à articles

  • 25 février 2024 : date limite d’envoi des propositions

  • 15 avril 2024 : réponse du comité aux auteurs

  • 15 septembre 2024 : date limite de remise des articles

  • 15 octobre 2024 : retour des évaluateurs

  • 15 novembre 2024 : date limite de réception de la version finale des articles

  • 15 décembre 2024 : publication en ligne du numéro