SÉMIOTIQUE ET DIACHRONIE
Actes du congrès de l’Association Française de Sémiotique
Université de Liège, juin 2013
Coordinateurs
Denis Bertrand, Ivan Darrault-Harris, Maria Giulia Dondero, Veronica Estay
***
Comité scientifique
.
Présentation
Denis Bertrand
Le projet du congrès de l’Association Française de Sémiotique en 2013 à Liège associait étroitement deux thématiques : celle, englobante, de la variation et celle, plus resserrée, de la diachronie, celle-ci étant à juste titre considérée comme une des formes d’accueil essentielles de celle-là. Or, comme le texte d’orientation le soulignait (cf. infra), la sémiotique s’est intéressée à la variation à proportion de son investissement dans l’élaboration de modèles théoriques de portée très générale : c’est-à-dire très peu.
Il s’agissait donc d’une entreprise de réparation : combler un manque. Il est difficile de dire si le volume qu’on va lire réalise la liquidation de ce manque, mais il y contribue incontestablement. Au sein de chacune des parties qui le composent, nous avons choisi de mettre l’accent, en premier lieu, sur les études qui envisagent la variation diachronique elle-même, et de présenter ensuite celles qui développent, sur des fondements sémiotiques ou très apparentés, d’autres régimes de variations.
C’est dire que la composition des vingt-sept contributions à ce volume illustre la prise en compte de la diachronie comme moteur prioritaire de la variation. La première partie, sous le titre « Diachronie et théorie sémiotique », s’attache à la discussion sur ce concept comme terme de la catégorie qui le lie à la synchronie. L’opposition formelle entre les deux notions est moins étanche qu’il y paraît, et la synchronie n’est peut-être qu’un voile ténu qui recouvre la réalité des langages inscrite par nature dans la temporalité, c’est-à-dire dans le changement et dans l’instabilité. Plus encore, comme un écho au constat ancien de Greimas sur les « tendances au déséquilibre », où il observait déjà que les mouvances consistent « toujours dans la création de nouvelles structures dysfonctionnelles » ensuite réinterprétées comme « progrès historique », nombre d’intervenants mettent ici l’accent sur la dégradation qui commande la variation. Comme aimaient à le proclamer solennellement certains professeurs, « la paresse seule préside à l’évolution des langues ». Il est donc prévisible que le déroulement de ce volume s’attache ensuite, dans sa deuxième partie, à la variation diachronique en langue et en discours, depuis les transformations de la description grammaticale jusqu’aux gloses du commentaire, en passant par ce qui constitue le noyau mythique de la variation linguistique : le mot.
Mais on sait aussi qu’un des traits particuliers de la sémiotique est de procéder à des expansions conceptuelles raisonnées, à l’instar de l’extension translangagière qui fonde sa spécificité disciplinaire. Il en va donc ainsi pour la diachronie : elle n’est plus envisagée seulement comme le changement des formes entre deux états observables plus ou moins stabilisés de tel ou tel langage, elle est aussi appréhendée au plus intime des formants, à l’intérieur de leur processus signifiant, dans l’avènement même de la perception et dans les opérations énonciatives adossées à l’esthésie. C’est pourquoi les parties suivantes de l’ouvrage s’attachent à trois dimensions essentielles de la variation, celle qui est liée à l’esthétisation des formes d’abord, celle qui s’enracine dans la perception ensuite et celle, enfin, qui modifie les représentations spatiales culturellement codifiées. Envisagée à travers les modalités de son avènement et les réalisations qui en résultent, la variation esthétique prend son départ dans l’esthésie de la vision, de l’écoute, de la saveur, ainsi que dans les espaces, les objets et les pratiques qui en accueillent les déclinaisons. Dans cette perspective sensorielle, on peut dire que la variation diachronique est indissociablement attachée à la saisie du mouvement. Qu’il s’agisse de l’image-mouvement du cinéma entre attente et rétrospection, des variations du paysage soumis au filtre photographique, de la ville et de ses objets emblématiques comme le musée, ou même des processus sensibles de métamorphose corporelle jusqu’à la dégustation, on découvre que les « objets » sont à appréhender dans la subjectivation de la temporalité qui commande leur appréhension.
Ainsi ressaisie, la variation diachronique s’infiltre dans tous les domaines de la signification, entre la subtile modulation des états, la programmation du devenir et l’accélération soudaine du survenir. Les résultats de cette recherche extensive ouvrent de nouveaux chantiers comme celui des variations qui semblent échapper à son emprise – les variétés stylistiques simultanées par exemple –, ou celui des schèmes bio-narratifs (naissance, maturité, déclin) ou méréologiques (fluctuations génériques, entre parangons, genres et sous-genres) qui investissent la périodisation en histoire littéraire. Car la variation diachronique résiste difficilement aux investissements de valeur qui l’habillent en téléologie.
Ensemble du dossier Sémiotique et Diachronie. Actes du Congrès de l’AFS 2013
SOMMAIRE
(Cliquez sur le titre de chaque article pour le lire et/ou le télécharger)
I. Diachronie et théorie sémiotique
Thomas Broden, Diachronies et régimes discursifs de la biographie intellectuelle
Denis Bertrand, Diachronie et progrès
Pierluigi Basso Fossali, Histoire des formes entre diachronie et archéologie
Tiziana Migliore, Praxis du motif en diachronie : usure, désuétude, abus
Francis Edeline, Les signes vivants
II. Diachronie, langue, discours
Anne-Gaëlle Toutain, Sémiologie et diachronie
Diana Luz Pessoa de Barros, Étude historique des discours des grammaires
Loïc Depecker, Entre signe et concept : décalages chronologiques
Ivan Darrault, Du Néologisme comme accélérateur de la diachronie
Elizabeth Harkot-de-la-taille, Ethos, reproduction et mutations sociales
III. Diachronie et esthétique
Marion Colas-Blaise, Comment penser la diachronie ? L’exemple de l’installation artistique
Veronica Estay Stange, Formes esthétiques et diachronie
Eleni Mouratidou, Variations et évolution de la scène réflexive chez Helmut Newton : 1967-1971
IV. Diachronie, vision, perception
Sylvie Périneau, Film-annonce et logiques énonciatives au prisme des diachronies
Hamid Reza Shairi, Mohammad Hatefi, Quand la métamorphose du corps absent fait sens
Matteo Treleani, Pour une sémiotique de l’archive. Le paradoxe du passé
Magdalena Nowotna, Les figures temporelles, une diachronie subjectivée
V. Espace et diachronie
Patrizia Laudati, Variations diachroniques de la réception urbaine